30/09/2019
Irène NEMIROVSKY au La Bruyère
LA BRUYERE
5, rue La Bruyère
75009 PARIS
(M° St-Georges)
TEMPETE en JUIN : du mardi au samedi à 19h
représentation supplémentaire le samedi à 15h
avec Franck DESMEDT
LOC. 01 48 74 76 99
http://www.theatrelabruyere.com/
D'après Irène NEMIROVSKY
Adaptation et mise en scène, Virginie LEMOINE
SUITE FRANCAISE : du mardi au samedi à 21h
représentation supplémentaire le samedi à 16h45
avec Florence PERNEL, Béatrice AGENIN, Guilaine LONDEZ, Samuel GLAUME, Emmanuelle BOUGEROL, Cédric REVOLLON ou Gaétan BORG
Il convient d’abord de saluer l’initiative heureuse du théâtre La Bruyère de proposer à voir et entendre, à la suite, si on le souhaite mais suivant ses propres envies ou disponibilités deux textes de la grande Irène Némirosky : à 19 heures le seul en scène de Franck Desmedt, « Tempête en juin » et à 21 heures le désormais célèbre « Suite Française ».
Ces textes initialement de forme romanesque sont remarquablement adaptés pour la scène par Virginie Lemoine et Stéphane Laporte, qui assurent conjointement la mise en scène de « Tempête en juin » quand la seule Virginie Lemoine a réalisé celle de « Suite française ».
C’est une véritable passion Némirovsky qui semble habiter Virginie Lemoine qui est vraiment là, dans ces deux approches (adaptation et mise en scène) à son tout meilleur. Après « le Bal » il y a quelques saisons qui fut un excellent moment de théâtre, poignant et tragique, elle nous offre ici un nouveau travail - le chic voudrait qu’on dise « opus » - formidable à tous égards.
Grâces lui soient rendues d’être aussi fidèle que respectueuse envers son auteur, car c’est d’une écriture délicate et fine qu’elle transpose les textes initiaux et c’est là une gageure de belle envergure !
« Tempête en juin » retrace le moment de l’exode de quelques Parisiens de divers milieux sociaux, leurs craintes, leurs peurs, leurs espoirs, leurs échecs ou leur renoncement et la prestation fine, précise, généreuse de Franck Desmedt est une absolue réussite.
Il est tous les personnages à la fois, tous présents, d’emblée, tous crédibles, et, dans une grande et salutaire économie de moyens comme d’accessoires (le texte et surtout le texte est le maître mot) nous entraine sur les routes de France, le plus souvent vers Tours et Bordeaux, partager les angoisses de ceux qui y cheminaient, ne sachant réellement ni que faire ni où aller, tentant de se protéger d’ils ne savaient au juste quoi, mais le salut semblait être dans la fuite…
Franck Desmedt nous livre ici un superbe numéro d’acteur, pour reprendre une formule compassée, abusivement utilisée pour tout et rien, mais qui trouve ici tout son sens. Nous avons face à nous un comédien dans la plénitude de son art, porté par un texte puissant et expressif, saisissant son public durant 1 heure 10 et qui ne le lâche pas. C’est une merveille. C’est du grand art.
Et nous pouvons en dire autant de « Suite française » où Béatrice Agenin, qui ne cesse de culminer à chaque rôle, ici femme dure, intraitable, bourgeoise provinciale âpre au gain et avare de tout, y compris de sentiment, sauf de la haine qu’elle porte aux ennemis, et Florence Pernel, femme égarée dans son époque, mal mariée, incertaine quant à elle-même, toujours au bord de la chute quand ce n’est de l’abandon, sont ensemble les protagonistes de ce drame bourgeois qui évoque à la fois le Vercors du « Silence de la mer » et le monde étriqué des bourgeois girondins de Mauriac.
Le texte du roman, de 1942 , comme celui de Vercors, et c’est en cela très troublant, remportera le prix Renaudot à titre posthume en 2004. C’est assez dire qu’il est intemporel et juste. Alors que « Tempête en juin » est dans le mouvement, le bruit, l’agitation et le doute « Suite française » est un drame feutré, très intériorisé, très local, et le contraste entre ces deux moments d’un même événement n’est pas sans intérêt.
Le personnage de Florence Pernel est celui qui retrace le plus ces agitations, troublé qu’il est à la fois par sa vie, triste, fade, platement bourgeoise, et le trouble né de la présence de l’officier allemand, courtois et attentionné, très en contraste avec ce qui est redouté d’un ennemi. Le personnage de la belle-mère, Béatrice Agenin, est le juste opposé de ce calme de surface, explosif et révolté, exalté parfois, mais sur le fond, tout aussi souffrant.
( photos : Gina Nonnc / Karine LETELLIER )
Dans une belle et solide distribution, cette «Suite française « ne nous lâche pas un instant et nous partageons avec ces personnages un moment de notre histoire difficile et complexe.
Il nous faut donc remercier tous ceux qui ont permis à ces spectacles qui sont autant de leçons d’histoire comme d’histoires à suivre, qui sont la vie, dans des moments cruels où parfois point un sourire, de ces sourires un peu tristes comme ceux que l’on fait ou reçoit au moment des grandes séparations.
C’est au théâtre La Bruyère, et il convient d’y aller sans retard, sous peine de se priver de deux formidables moments de théâtre.
Frédéric ARNOUX ©
11:04 Publié dans THEATRE | Lien permanent